vendredi 19 mai 2017

Sauvés in extremis

Me retournant un instant, j’évaluai la distance que je venais de parcourir à pied. Je voyais le village au loin, derrière un bouquet d’arbres au-dessus duquel se détachait la flèche de la basilique, surmontée d’une croix. Sur ma droite, j’entendais le gazouillis guilleret d’un ruisseau qui coulait en contrebas de la route, dans un lit limpide, parsemé de galets. 

Levant les yeux pour embrasser le paysage environnant, j’aperçus la voie ferrée qui s’étendait à quelque deux cents mètres de la route, au milieu d’une friche où poussaient allègrement des touffes d’arbustes, des massifs de ronces et des herbes folles.

Soudain, j’eus la nette sensation que quelque chose bougeait sur les rails ; je fixai toute mon attention sur le point précis où je venais d’apercevoir ce mouvement insolite qui m’intriguait ; alors, je crus discerner une personne qui, après avoir sondé un instant l’horizon, s’était couchée sur le ballast et mis la tête sur le rail, comme si elle scrutait l’approche d’un train.

Je pensai d’abord à des voleurs de câbles électriques ; puis, comme la personne restait allongée et que rien ne bougeait alentour, je me dis que je devais aller voir de quoi il retournait.

Recouvert de végétation sylvestre, le talus était si raide qu’un caillou lâché en haut ne s’arrêterait qu’au fond du ruisseau. Je l'abordai sans trop y prendre garde. Au premier pas, mon pied tomba dans un trou insidieusement caché sous une touffe d’herbe. On imagine aisément la suite : je perdis l’équilibre, m’étalant sur le ventre, et je me retrouvai le nez dans l’eau, quelques instants après, tous poils hérissés sur la peau. 

Au lieu d’un caillou, je représentais un rocher de soixante-quinze kilos, entraîné dans la chute par son propre poids. Ne trouvant pas un arbuste où m’agripper, je glissai sur la pente comme luge sur neige ; et, en chemin, j’écrasai un serpent pris au dépourvu dans sa bronzette, qui, malgré le bruit d’un mammifère dégringolant sur lui, n’eut pas le temps de défaire ses anneaux et déguerpir.

Ma frayeur était due plus à la vue du serpent, qui avait dressé la tête affreuse et tiré sa langue fourchue pour morde, qu’à la glissade spectaculaire, ralentie à la fin par une bande de terrain plat tapissé de fleurs sauvages, sur le cours d’eau, et à laquelle je n'eus pas le temps de penser. Je finis en équilibre instable, plié en deux sur la berge, la tête en bas, désespérément accroché aux racines d’un saule. Ne pouvant pas me relever, je me laissai glisser en douceur dans l’eau où je pus me remettre en position verticale. 

Je n’avais rien de cassé, je sentais juste les griffures des ronces, qui me brûlaient sur la peau. En revanche, j’avais une allure pitoyable, j'étais couvert de boue et de chlorophylle de la tête aux pieds, la poitrine de la chemise déchirée, quelques accrocs dans le pantalon, les cheveux ébouriffés.

A peine remis de mes émotions, je regagnai la berge opposée. J’ôtai mes souliers inondés jusqu’aux lacets. Puis, assis sur l’herbe, je jetai les chaussettes trempées, après les avoir utilisées pour nettoyer essuyer ces derniers.

Ayant remis les pieds dedans, je marchai droit sur la voie ferrée. Je m’y approchai sans faire de bruit, de peur d’effaroucher la personne qui se trouvait là. Je ne savais pas trop quelle attitude adopter lorsqu’elle se rendrait compte de ma présence. 

Je découvris une femme allongée sur le dos le long d’une traverse. Posée sur le rail, du côté d’où je venais, sa musette lui servait de coussin. Elle avait les cheveux d’un blond sombre, coupés courts. Elle portait des tennis, un jean bleu-indigo serré, un chemisier blanc à manches courtes, et elle se tenait les yeux fermés et les mains croisées sur la poitrine, à la manière d’un cadavre dans le cercueil.

Je restai quelques instants à l’observer en silence, prêt à la sortir de là si jamais un train se pointait à l’horizon. Je me trouvais devant une inconnue qui avait décidé de finir broyée par l’engrenage d’une locomotive. C’était une épineuse affaire pour laquelle je ne me sentais nullement préparé. Que devais-je faire ? Essayer de la raisonner ou demander de l’aide ? Au terme d’une brève réflexion, je choisis la seconde alternative. Je m’éloignai un peu, j'avais l’intention d’appeler les pompiers, qui seraient à même de prendre les mesures appropriées, dans une situation si délicate.

Je ne tardai pas à me rendre compte que mon portable gisait très probablement au fond du ruisseau, ainsi que mon portefeuille et mes clés de l’appartement. J’eus beau fouiller mes poches, je n’en sortis qu’un bristol trempé, partant en lambeaux, et dont l’inscription qui figurait dessus était devenue illisible.

« Nom d’une chienne ! Quand est-ce que les dieux, ces feignants que le malheur des humains amuse, quand est-ce qu’ils cesseront de m’accabler ? » m’écriai-je, furieux, trépignant et tapant des mains sur mes cuisses.

Redressant le buste, l’inconnue de la voie ferrée se retourna pour voir l’énergumène qui jurait de la sorte. Je levai les bras, l’air contrit et la tête basse, comme pour me faire pardonner, arborant mon meilleur atout, un sourire charmeur qui me valait bien souvent la sympathie des femmes. Elle ne sembla pas y être particulièrement sensible, s’empressa de reprendre la position qu’elle avait quittée un court instant, reléguant ma présence ainsi que mon algarade contre le ciel au registre des incidents mineurs.

D'abord, je crus qu’elle allait s’enfuir à toutes jambes, en voyant ma dégaine de vagabond échevelé, les fringues en désordre, déchirées, couvertes de boue et de chlorophylle; mais non, je ne décelai pas la moindre frayeur sur son visage. Elle voulait en finir, peu lui importait la manière ; pour une suicidaire parvenue à ce stade critique, toutes les morts se valent, le but premier étant de faucher le désespoir à la racine.

Je montai sur le ballast où je restai un instant debout à regarder l’inconnue, paisiblement, comme si mes yeux voguaient sur le ruisseau qui coulait entre les saules. De taille moyenne, elle était solidement bâtie, avait la peau bronzée, les yeux bleus, les traits réguliers. Bref, je la trouvai plutôt jolie, d’une beauté naturelle, sans fard, un rien androgyne. Elle ne me regardait pas, ma présence lui était indifférente, ses yeux sondaient presque en permanence l’horizon d’où viendrait le train qu’elle semblait guetter avec impatience.

Dès le premier regard, voyant son visage, j’eus la quasi-certitude que cette jeune personne ne m’était pas étrangère. J’éprouvai une sensation troublante, un peu comme ces voyageurs qui visitent un lieu donné pour la première fois, et qui, tout à coup, s’arrêtent stupéfaits : ils reconnaissent physiquement ce lieu où ils n’étaient jamais venus auparavant. J’étais persuadé de l’avoir côtoyée, je ne savais pas où ni quand, peut-être dans une vie antérieure, et ce fait donnait plus de force à mon envie de la sauver.

Il ne me fallut pas longtemps pour me rendre compte que, par l’intelligence, la logique et le raisonnement, je n’arriverais à rien de bon. Je ne savais pas comment fonctionne le cerveau d’un suicidaire. Je ne pourrais donc lui dire que de sages paroles, qui n’auraient pas pour la jeune femme le même sens qu’elles avaient pour moi, dont chaque fibre criait son attachement à la vie – des paroles qui, très probablement, ne produiraient pas le moindre effet. J’avais envie de lui dire :

«Vous êtes jeune et belle. Le printemps de la vie vous prodigue ses merveilles, et peut-être que le bonheur n’attend plus que vous pour éclater dans toute sa splendeur à la face du monde.»

Foutaises ! Que pouvait ce discours aux oreilles d’une femme désespérée, dont l’avenir n’était plus qu’un écran noir ?

Je finis par me dire que le plus judicieux était de me laisser guider par mon intuition, elle-même éclairée par mon empathie avec la malheureuse. J’ôtai ma chemise et mes chaussures, pour faire un paquet qui me tiendrait lieu d'oreiller. Ensuite, je m’allongeai sur une traverse proche, de façon à avoir l’œil sur la suicidaire. Pour la première fois, celle-ci m’accorda quelques instants d’attention, s’intéressant en particulier à la toile d’égratignures que les ronces m’avaient tissée sur le torse.

Une longue minute s’était écoulée, peut-être davantage ; j’avais un peu perdu la notion du temps réel, depuis la chute dans le ruisseau. Je n’entendais que le léger bruit de ma respiration, les pulsations du cœur qui se répercutaient dans mes oreilles, au milieu d’un bourdonnement continu de ruche affairée. Je surveillais l’horizon du coin de l’œil. De temps à autre, je considérais ma voisine, qui avait repris son attitude sereine, presque immobile, le bleu du ciel ramassé dans ses prunelles, l’air absent, comme si elle avait lâché prise, se détachant de ses racines terrestres.

Mais sa sérénité, qui touchait à l’apathie et supposait une parfaite maîtrise de soi, me laissait songeur. Je commençai à douter du naturel de son attitude. Une fois que je l’observais, il me vint l'idée qu’elle pouvait être droguée. Alors, je lui dis spontanément.

« Il n’y aura plus de trains aujourd’hui. »

Elle ne retourna pas la tête vers moi, mais ses paupières eurent un battement précipité.

« Ce matin, lorsque j’ai quitté Paris, les cheminots de Montparnasse étaient en grève. Peut-être que, depuis, le mouvement s’est étendu à toutes les gares, poursuivis-je, et comme elle restait insensible, je redressai le buste.

« De toute façon, je ne vous laisserai pas mourir. Je suis votre ange gardien, même si je n’ai pas des ailes blanches dans le dos.»

Monopolisant toute mon attention, ce court monologue me fit relâcher la vigilance sur la voie ferrée. C’est quand je sentis la vibration des rails que je me rendis compte du danger imminent. Venant de Paris, un train fonçait sur nous à toute allure. L’instant d’après, les ressorts de l’instinct de survie m’avaient remis sur mes jambes ; j’attrapai la suicidaire et la jetai hors du ballast sans ménagement, juste avant de m’en tirer par un roulé-boulé. Il était temps. La locomotive arrivait à ma hauteur, poussant devant elle une trombe d’air, hurlant longuement.

Je me retrouvai dans l’herbe, le souffle coupé, sérieusement ébranlé par la mort qui venait de me frôler. Couchée par terre, la tête reposant sur son bras replié, la suicidaire ne semblait nullement bouleversée. Je lui pris le pouls, qui battait à faible cadence; je fixai ses yeux, son regard était distant, presque insensible à ma curiosité, comme perdu dans un rêve éveillé. Plus aucun doute n’était permis, elle se trouvait plongée dans un état second. Il fallait appeler à l’aide, mais comment m'y prendrais-je? Je ne disposais d’aucun moyen de communication.

Je retournai sur la voie chercher la musette de la jeune femme. Il se pourrait que j’y trouve un téléphone. Celle-ci avait été écrasée par la longue suite de roues d’acier, ainsi que ma chemise et mes chaussures broyées, elles aussi, sur le rail opposé. Je fouillai dans la musette où je ne trouvai que les débris d’un portable, mêlés avec d’autres objets tout aussi maltraités, parmi lesquels un permis de conduire, encore lisible malgré l’énorme pression subie. Je n’en croyais pas mes yeux, j’avais près de moi Bianca Domion, ma petite amie à l’école primaire, mon premier baiser, mon premier amour.

Quand je me retournai pour rejoindre Bianca, mon regard tomba sur un revolver qui gisait à côté de la voie. Supposant qu’il appartenait à la suicidaire,  je le ramassai et me rendis compte qu’il était chargé. Alors, je pensai qu’il valait mieux vider le tambour avant de le remettre dans la musette. Je ne pouvais pas imaginer à ce moment-là les conséquences funestes que mon acte allait entraîner plus tard.

Revenant près d’elle et l’enveloppant dans un regard ému, je lui dis, la voix pénétrée d’un sentiment d’amitié sincère.

– Bibi, écoute-moi bien, je suis Gigi, ton petit copain à l’école primaire. Te souviens-tu de moi? Gigi, pour les copains, bien sûr. L’instit, lui, prenant un mauvais accent italien, prononçait mon nom in extenso, Gianni Maggiore, qu’il disait de sa voix de fausset. Un jour, j’ai glissé un mot doux dans ton cahier ; tu as reconnu mon écriture et m’as dénoncé. J’ai été puni, j’ai dû recopier cinquante fois la phrase qu’il a écrite au tableau :

«Je ne manquerais plus jamais de respect aux filles.»

Mais je ne t’ai pas gardé rancune pour autant. Quelques jours plus tard, à la récré, comme un garçon t’embêtait, je l’ai défié et me suis battu avec lui dans la rue. À partir de ce jour, ton regard sur moi a changé, puis une belle amitié a fini par se nouer entre nous. Tu m’entends, Bibi? Il faut qu’on se tire d’ici, nous devons regagner la route. Pourrais-tu faire un petit effort ?

Elle inclina la tête me signifiant son accord, en même temps qu’une vague lueur de plaisir éclairait sa figure, et que, prometteur comme l’échancrure bleue qui s’ouvre dans un ciel morose, un doux sourire lui écarta les commissures des lèvres.

Après l’avoir aidée à se remettre debout, je calai son bras droit sur mes épaules et lui ceinturai le dos de mon bras gauche; puis, à petits pas hésitants, nous nous mîmes en route.

La marche fut laborieuse, c’est à peine si la malheureuse tenait debout. Nous avons failli tomber sur les chardons à plusieurs reprises, à cause de la difficulté qu’elle avait à mouvoir ses jambes ramollies, un peu comme celles d’une poupée de chiffon. Pas à pas, prenant à brefs intervalles de petites pauses pour souffler, nous atteignîmes le bord du ruisseau. Après l’avoir déposée sur l’herbe, adossée contre un arbre, je lui expliquai la raison de cet arrêt au bord de l’eau, lui montrant la pente que j’avais dégringolée tout à l’heure, au risque de me rompre les os ; puis, la prenant à témoin, je croisai les doigts pour que les objets que je revenais y chercher soient aussi visibles que la trace de ma chute dans la végétation.

L’eau du ruisseau était limpide, son lit, dépourvu de cavités obscures. D’un coup d’œil, je pus comprendre qu’il me faudrait poursuivre ma quête sur l’autre berge. Le portefeuille était bien en vue sur le parterre de fleurs sauvages ; aussi, après quelques minutes de recherche, je dénichai les clés dans une touffe d’herbe. Quant au portable, j’eus beau ratisser des yeux le périmètre où je supputais qu’il avait dû glisser hors de ma poche, je n’en voyais pas la moindre trace alentour. Il n’était pas question que j’aille fouiller le talus, nu-pieds, je préférai abandonner l’appareil dans la nature. Après tout, comme au bon vieux temps, je n’avais qu’à me débrouiller sans ce joujou de poche, qui a une fâcheuse tendance à se rendre indispensable, un peu comme la béquille d’un éclopé.

Redescendu dans le ruisseau, je réunis les mains en forme de conque ; puis, les ayant remplies d’eau à ras bord et rejoint Bianca auprès de l’arbre, je déversai sur elle une petite vague de fraîcheur, larguée en éventail au-dessus de son front. Je répétai l’opération plusieurs fois, dans le but de l’aider à sortir de la torpeur qui l’accablait. Mais, dans l’immédiat, rien ne me permettait de penser que son état allait s’améliorer.

Enfin, nous reprîmes notre marche laborieuse, incertaine, entrecoupée de haltes, longeant le cours d’eau jusqu’à l’endroit où son lit rocheux s’évasait entre des berges plus basses, ce qui rendait sa traversée plus facile. Une fois sur le bord opposé, il fallut trouver un endroit où le talus était relativement aisé à gravir.

Dès que nous arrivâmes sur le goudron, j’aidai Bianca à s’asseoir sur le muret de pierres sèches qui bordait la route, à moitié démoli par endroits, avec le sentiment que le plus dur était accompli. Nous n’étions pas au bout de nos peines, mais une étape ardue avait été franchie.

Quelques minutes plus tard, j’aperçus une voiture qui revenait du bled proche, c’était un taxi sans aucun passager à bord, probablement celui que mon assureur m’avait envoyé, pensai-je, plein d’espoir. Je me mis bien en vue sur la chaussée, les mains levées, faisant de grands signes au chauffeur pour qu’il s’arrête ; mais celui-ci, me voyant à moitié nu, déchaussé, le pantalon sale et en lambeaux, me prit sans doute pour un vagabond, peut-être même un repris de justice, qui cherchait à dévaliser quelque étourdi de passage, assez bête pour s’arrêter. M’apercevant, il jeta un regard de travers, afin de s’assurer si j’avais des complices, et il remarqua Bianca qui avait l’air d’une camée en overdose. Alors, sans ôter son pied du champignon, il zigzagua, s’écartant de moi autant qu’il lui était possible, de peur que je ne me jette sur le véhicule.

Je pris conscience que, au vu de mon misérable accoutrement, j’aurais du mal à me faire prendre en auto-stop para l’un des rares automobilistes qui circulaient sur la route départementale. Alors, je me dis que Bianca pourrait très bien réussir là où je venais d’échouer lamentablement. Je me planquerais derrière le muret pour ne me montrer que lorsque la voiture serait arrêtée, avec la portière ouverte.
Je l'observai un moment avec attention. Elle me semblait quelque peu ragaillardie, son regard était devenu plus ferme, ses yeux avaient perdu un peu de la mollesse et de l’immobilité qu’ils avaient tout à l’heure sur la voie ferrée. Il n’empêchait que, la poussant sur l’asphalte, je lui faisais courir un risque qui me donna le frisson, rien que d’y penser.

— Ça va un peu mieux ? lui demandai-je.

Elle hocha la tête, tout en faisant un effort pour parler.

— J’ai le corps lourd et la tête en bouillie, bafouilla-t-elle enfin.

— On va attendre encore un peu, et si personne ne nous prend en stop, nous tenterons d’atteindre le bled.

— Non, non, pas le bled ! supplia-t-elle, affolée par cette perspective. Il va venir me reprendre.

— Qui va venir? Je ne comprends pas.

Elle se renferma dans un mutisme d’où elle ne sortirait pas de sitôt. J’envisageais de regagner le village tout seul, juste le temps de soigner mon apparence et d’appeler un taxi, non sans avoir auparavant mis ma protégée à l’abri de la convoitise d'un éventuel rôdeur. A ce moment précis, le ronflement d’un moteur en surrégime m’annonça que nous avions encore une petite chance de quitter tout de suite le désert où nous avions échoué.

C’était une voiture Fiat 500 qui roulait en seconde sur une ligne droite, qui plus est plate. Je me plantai au beau milieu de la chaussée les bras levés au ciel, bien décidé à arrêter le véhicule, malgré le risque de me faire renverser. La voiture s’arrêta, après un dérapage qui me glaça le sang, le pare-chocs tout près de mes jambes, tandis que la conductrice éclatait de rire, heureuse, pour ne pas dire euphorique.

M’approchant de la portière, je baissai la tête et je me trouvai nez à nez avec la chauffarde; elle m’avait l’air de sortir de chez les dingues.

–– Bonjour, Madame. Belle journée, hein ? Est-ce que vous allez sur Versailles ?


–– Je vais retrouver mon fiancé, il m’attend dans la chambre du roi.

–– Je suis au regret de vous annoncer, madame, que le roi a dû se rendre à Paris, au chevet de la République malade, et qu’il ne rentrera au château que ce soir, dis-je, rentrant d’emblée dans le jeu de la femme en plein délire. Il m’a chargé de vous emmener auprès de lui. Si vous voulez bien me confier les rênes de votre carrosse, nous y serons plus vite que l’orage qui se déchaîne là-bas, au-delà des montagnes du Levant.

— Faites vite, Monsieur, faites vite !  J’ai hâte de revoir mon amant !

La foldingue s’installa sur le siège passager, tandis que je me dépêchais d’aller chercher Bianca, après avoir mis les clés de la voiture dans ma poche par précaution. Cette dernière étant installée sur la banquette arrière, je pus découvrir une toute nouvelle sensation, d’habitude réservée aux chauffeurs africains démunis, je parle de la conduite nu-pieds sur les pédales.

J. L. Miranda



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