Vous, qui êtes nés libres, ne pouvez pas apprécier, à sa juste mesure, la chance que vous avez eue.
La liberté vous accompagne sur le chemin de l’école ; elle vous suit à l’université. Vous avez le droit de critiquer la gouvernance du pouvoir en place, et vous n’hésitez pas à manifester haut et fort votre mécontentement. Beaucoup d’entre vous ont participé activement à la révolte estudiantine de mai 1968, qui a débouché sur une crise sociale et politique et fait vaciller les sommets de l’Etat. Une situation que je ne pouvais même pas imaginer dans ma terre natale.
Je suis né bâillonné, je devais porter malgré moi les chaînes invisibles qui accablaient mes parents. L’oppression fasciste s’était abattue sur le pays, elle avait muselé le peuple qu’elle condamna au silence et à la nuit obscurantiste.Je suis né dans un taudis, à quatre heures du matin et, selon ma mère, il pleuvait à verse et le vent sifflait sur les toits. Mon premier cri a dû être un cri de révolte. J’ai vu les ténèbres avant de voir le jour. Mon étoile a lui un instant dans la déchirure d’un nuage, m’a envoyé un reflet pâle sur le front, à travers la feinte de deux tuiles disjointes, et elle s’est dérobée aussitôt au spectacle de ma misère.
J’ai grandi librement, j’allais à l’école nu-pieds sur des chemins caillouteux. Premier en classe, brillant, appliqué, l’institutrice m’a pris en affection, et elle regrettait que je ne puisse pas poursuivre mes études. A dix ans, je me suis trouvé désœuvré, errant dans la nature, traînant dans les chemins du village. Il m’a fallu apprendre un métier.
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