vendredi 28 février 2020

Méfiez-vous des blondes


Rien ne va plus entre Audrey et Claude. Elle s’est rapprochée de Nicolas, son premier amour, court les bois avec lui, suivant les commères du village. Se croyant trompé, son mari la punit sauvagement. Elle se réfugie chez sa mère, puis s’enfuit à Paris chercher du réconfort auprès de son grand frère. Mais il est absent. Elle ne sait plus où aller, part à dérive à travers les rues de la capitale, sous une pluie battante. À l’aube, elle se jette sur la voiture de Julio, s’en sort indemne. Le premier contact entre Audrey et Julio est tendu. Et pourtant, elle n’hésite pas à mentir pour le sortir d’un mauvais pas. Alors, une lueur de sympathie se fait jour entre eux. Par la suite, il devient à la fois le soutien et l’espoir de renouveau, dans le drame conjugal vécu par Audrey. Seront-ils capables de trouver ensemble le bonheur dont ils rêvent ? Seront-ils capables de construire le bonheur durable dont ils rêvent ?

Extrait 1

Il échangea avec Audrey, bien malgré elle, un regard d’intelligence qui n’échappa pas à Claude. Nicolas serra la main de ce dernier, embrassa avec gourmandise les joues de marbre de son amie. Prenant congé d’eux, il passa dans le hall d’entrée. Comme Claude restait assis à sa place, malaxant des miettes de gâteau entre ses doigts, le regard sombre, Audrey raccompagna Nicolas d’un pas raide, dans une attitude qu’elle voulait froide et détachée.

Avant de s’en aller, Nicolas se retourna vers Audrey, l’air suppliant d’un enfant malheureux.
– Je me sens si bien près de toi que j’y passerai toute la nuit. Pourquoi tu ne veux pas de moi ?
Elle resta imperturbable, ne desserra pas les lèvres. À peine lui avait-il tourné le dos qu’elle referma la porte sur lui. Ses mots l’avaient touché intimement, elle sentit vibrer dans son cœur une aspiration irrésistible. Elle aurait tant aimé sentir, dans ses bras, les parfums enivrants qu’elle pressentait au cœur de la nuit, lorsque le cri d’un hibou, chargé de mauvais présages, perça les ténèbres au loin.
Claude l’attendait dans la cuisine, malaxant toujours des miettes de gâteau entre ses doigts, le regard mauvais, les commissures des lèvres abaissées. Dans l’atmosphère électrique qui régnait dans la pièce, Audrey sentit l’orage se rapprocher. Elle se mit à débarrasser la table. Elle tenait à laisser la cuisine propre et rangée avant d’aller se coucher. Claude la suivait l’air menaçant. Tout à coup, il lança une nouvelle boulette de gâteau contre le réfrigérateur et la dévisagea, le regard furieux.
– Tu gâtes pas mes invités, hein ? Une vraie mégère ! grogna-t-il, l’air mauvais. Depuis quand t’es fâchée avec lui ? Je t’ai posé une question, réponds ! cria-t-il tapant sur la table avec force du plat de la main. Y a pas si longtemps, tu l’embrassais à pleine bouche au bord de la rivière. Et même tu te serais fait sauter, s’il n’y avait pas un pêcheur en train de vous regarder. L’œil perçant du père Justin a tout vu.
Audrey s’efforçait de rester sereine, lui tenant tête, elle nia toutes ses accusations d’une voix ferme, un peu essoufflée néanmoins :
– C’est faux, archifaux ! Le père Justin est un vieux cochon qui prend ses désirs pour des réalités !
– Ah ouais !... J’ai fait vérifier avant-hier le câble de l’accélérateur de la voiture, il n’a jamais été touché.
– Demande à José, c’est lui qui l’a réparé.
– J’ai demandé de ses nouvelles à son cousin. Il est rentré au pays l’année dernière. J’aurais dû te plomber le cul l’autre jour, salope !
Il se remit debout, le teint bilieux, le menton tremblant, les traits défaits par la hargne. La jalousie lui enflammait la cervelle. Tout à coup, il renversa la table contre la porte pour couper la retraite à sa femme. Il enleva sa ceinture, enroula dans la main le bout opposé à la boucle. Il l’avait à sa merci. En vain, elle le suppliait de lui pardonner. Il frappait aveuglément n’importe où, tantôt, attrapant sa femme par les cheveux, tantôt, la rejetant contre les meubles, criant qu’il allait la tuer. Elle protégeait sa figure autant qu’elle le pouvait, lui tournant le dos, croisant les bras sur son front.
La fureur de Claude grandissait au fur et à mesure qu’il la battait, comme s’il en éprouvait un plaisir sadique. Elle finit par réagir, se jetant contre lui de tout son poids, désespérée, avant qu’il n’achève de labourer son corps. Il perdit l’équilibre, tomba à la renverse contre la table qui barricadait la sortie. Elle se dépêcha d’ouvrir la fenêtre qu’elle enjamba vite, pour se retrouver en un clin d’œil sur la pelouse du jardin. Elle regagna la rue, puis elle se mit à courir aussi vite qu’elle en était capable.
Au bout de sa course éperdue, elle frappa à la porte de sa mère à grands coups, désespérée, comme si elle avait une bête féroce aux trousses. Quand Jeanne vint ouvrir, Audrey s’élança vers l’intérieur et elle tomba sur le plancher, à ses pieds ; elle haletait terrorisée, couverte de sang et de larmes, et elle gémissait comme une petite fille sortant d’un cauchemar :
– Maman ! Maman ! Ferme la porte, maman ! Il va venir ici nous tuer !

Extrait 2


Quand Julio pénétra dans l’immeuble, il n’était toujours pas convaincu de l’à-propos de cette rencontre seul à seul. Ils se connaissaient à peine, il n’y avait pas entre eux la moindre complicité. Audrey le reçut avec un sourire, que ses yeux n’illuminèrent pas. Dès l’entrée, une odeur alléchante vint chatouiller ses narines. Il la suivit dans la cuisine, faisant la moue, l’air intrigué, craignant de ne pas être au bout de ses surprises. Elle faisait des frites et avait deux steaks saignants sur le gril.
 – Je ne m’attendais pas à déjeuner ici, dit-il, levant les yeux sur elle, les sourcils légèrement froncés.
– Ça ne te plaît pas ? fit-elle, redressant le buste devant lui. Si tu es végétarien, je te laisse toute la salade. Je donnerai ton bifteck au chat.
– Là n’est pas la question. Je n’ai rien fait pour mériter cette attention de ta part.
– Tes mérites, je les connais. Tu es un garçon gentil, compréhensif et discret.
– Ah ! tu t’es renseignée sur mon compte ?
– Non, je l’ai deviné la première fois que je t’ai vu. Et j’en ai eu la confirmation en arrivant ici. Le bureau n’est pas au courant de l’incident qui nous a réunis par hasard.
– Et tu m’invites à déjeuner parce que je suis un garçon gentil, compréhensif et discret ?
– Il y a autre chose, j’ai besoin d’un psy, et tu es la personne indiquée pour jouer ce rôle. Considère ce repas comme les honoraires de la première séance.
– Je t’aurais écouté volontiers, gratuitement. Les expériences d’autrui enrichissent les miennes.
– Tu vois ? En plus, tu es généreux. S’il m’était permis de choisir un ami parmi les collègues de bureau, ce serait toi que je prendrais.
– Ah, ouais… Tu ne me laisses pas le choix. Tu me trouves l’ami idéal, tu me paies d’avance… Honnêtement, je ne peux pas refuser ce que tu attends de moi. Espérons que ça ne finira pas en queue de poisson.
– Tu m’en veux, n’est-ce pas ? Tu me trouves un peu garce, au fond ? Il faut que tu saches que c’est mon mari qui m’a mis dans cet état.
Au cours du déjeuner, Audrey fit un résumé de ses déboires conjugaux à Julio. Elle s’attacha à noircir le portrait de Claude, se posant en victime et s’efforçant d’apparaître comme une femme de cœur par rapport à lui. Il était un ivrogne, égoïste, jaloux, qui pouvait être, parfois, méchant et cruel.
Julio l’écoutait sans poser des questions, sauf quand il avait l’impression de perdre le fil de son histoire. Elle ne la racontait pas suivant la chronologie des faits, se plaisait à évoquer son passé au gré de ses souvenirs les plus traumatisants. Ainsi, elle revint à plusieurs reprises sur sa tentative de suicide, le matin où elle l’avait rencontré.
– Tu comprends maintenant la raison de mon état quand je me suis jetée sur ta voiture ? J’étais désespérée, je voulais mourir, conclut-elle.
Julio secoua la tête, il la regarda en silence, longuement. Il écoutait la petite voix persuasive qui s’élevait au tréfonds de lui, et il sentit qu’elle était en passe d’embrouiller son bon sens et sa raison. Il éprouvait un sentiment curieux qu’il n’avait jamais ressenti auparavant. Audrey était une femme imprévisible. Rien ne les rapprochait moralement, et pourtant, elle exerçait sur lui une attraction physique qui faisait vibrer toutes les fibres de son corps. Il sentait qu’il devrait s’en aller, mais il n’en avait pas la volonté ; il était prisonnier dans une cage invisible dont elle seule avait la clé.
Ils passèrent dans la salle en sortant de table, prirent place côte à côte sur le canapé. Julio se sentait un peu excité, pris d’une impatience inhabituelle qu’il attribuait à la présence d’Audrey. Elle s’en aperçut, mais ne fit rien pour la refréner ; au contraire, elle lui jetait des regards qui exprimaient son attente, le poussant à l’entreprendre. Elle se rapprocha de lui, se mit à portée du geste qu’elle attendait comme une étincelle, pour allumer le feu. Il lui prit la main dans la sienne. Ce fut comme le craquement d’une allumette. La petite flamme jaillit, leurs bouches furent happées par le désir.
Ils se retrouvèrent enlacés sur la moquette, à la recherche du grand frisson, livrés tout entiers à la force irrésistible de l’amour. Ils furent emportés par l’ivresse qui galvanise l’âme et le corps, donnant un sens à l’existence, par le sentiment fugace de l’infini ramassé au fond de leurs soupirs. Ils se croyaient au début d’une liaison prometteuse. Une perspective nouvelle s’ouvrait sur l’avenir, ils apercevaient un pont jeté au-dessus d’une mer houleuse, menant à l’île du bonheur si longuement rêvée, et ils fermaient les yeux aux obstacles incontournables qui ne manqueraient pas de se dresser sur leur chemin.





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