dimanche 1 mars 2020


À priori, Christina a tout ou presque pour trouver le bonheur en amour : un physique agréable, un caractère bien trempé, un cœur romantique, une intelligence remarquable, une bonne situation…
Seulement, elle a le malheur de croiser un mauvais garçon qui jette son dévolu sur elle. Alors, les forces obscures du mal se conjuguent pour tisser la toile où elle se laisse prendre, comme un papillon ébloui.
Très vite, elle est happée par l’engrenage tissé par l’imposture et le mensonge. Elle perd ses illusions d’amour et de bonheur au bout de quelque temps. Alors, elle tente de rompre avec l’amoureux indigne, mais il s’accroche, la menace, la fait chanter. Alors, les tribulations de Christina s’enchaînent, la jetant dans le plus grand désespoir.
Elle est courageuse, décide de se battre ; cependant, elle vit la peur au ventre, craint de ne jamais réussir à se débarrasser de ses persécuteurs. L’incertitude et le suspense règnent jusqu’au dénouement.

Extrait

Ricky surveillait discrètement la maison de la famille Thomas ce samedi matin. Il guettait les allées et venues de Christina, afin de déterminer le meilleur moment pour passer à l’action. Quand il vit la jeune femme sortir en compagnie d’une vieille dame appuyée sur son bras, il en avertit Fredo, qui lui donna de nouvelles instructions. Il devait les suivre à distance, s’assurant bien qu’il n’y avait pas des individus suspects dans les environs.

Il suivit leur voiture, qui se dirigeait vers la forêt. Il se gara à distance, descendit de son véhicule sans hâte, alluma une cigarette, puis il fouilla du regard l’espace environnant. Il se mit à marcher sur un sentier, sans perdre les deux femmes de vue. Comme il ne voyait rien d’anormal, il informa son chef que la zone était dégagée. Alors, celui-ci lui ordonna de le rejoindre, ils reviendraient ensemble sur les traces des deux femmes.
Une demi-heure s’était écoulée, ces dernières revenaient vers leur voiture avec l’intention de rentrer à la maison. Christina prit un mouchoir dans son sac à main qu’elle portait en bandoulière, le tendit à Gloria.
– C’est tonique, une promenade en forêt, hein, mamie ? dit Christina.
– Oui, ma chérie, je me sens rajeunir depuis que tu es revenue. Tu rentreras à Paris bientôt, n’est-ce pas ?
– Je ne crois pas. J’attends de pouvoir y vivre en paix. La police finira bien par l’arrêter.
– Que Dieu te protège, mon enfant !
Elles arrivaient près de leur voiture quand celle de Fredo s’immobilisa à leur hauteur. Celui-ci sauta sur l’allée, attrapa Christina par la veste ; elle essaya de résister avec l’aide de Gloria ; il bouscula cette dernière qui tomba à la renverse, puis il poussa Christina brutalement dans l’arrière de son véhicule.
Assis au volant, Ricky attendait le signal de départ. Fredo monta derrière, à côté de Christina ; il fit bloquer les portes, puis la voiture démarra sur les chapeaux de roues. Cette dernière était effondrée, la tête inclinée sur la poitrine, maudissant son destin cruel. Elle pensait à Gloria, qu’elle avait vue immobile, allongée sur le sol. Le misérable n’avait pas hésité à lever les pattes sur une vieille dame.
Elle osait à peine imaginer les souffrances qu’elle devait encore endurer. Elle haïssait Fredo de toutes ses forces. Elle fourra la main dans son sac à main, caressa le révolver dont elle ne se départait pas, depuis que son père avait été sauvagement agressé. Elle l’avait acheté à un trafiquant d’armes, s’était entraînée dans la forêt, sur des cibles de carton, fixées sur des troncs d’arbre. Elle s’était juré de se venger, et pourtant, elle renonça à s’en servir, estimant que le moment était mal choisi. Au lieu du révolver, elle prit un mouchoir pour essuyer ses larmes.
La voiture roulait dans la direction de Versailles. La radio diffusa les dernières nouvelles sur l’état de la circulation. C’était le début des vacances de Pâques, les automobilistes se ruaient vers le sud ; on signalait de gros bouchons autour de Paris. On roulait au pas sur la N10, à cause d’un accident grave sur l’autoroute.
– Tu prendras la route départementale à la sortie de Versailles, comme la dernière fois, dit Fredo.
Il se retourna vers Christina, qui pleurait à chaudes larmes.
– Ça va être ta fête aujourd’hui. Je t’emmène dans une cabane perdue au milieu de nulle part, dit-il avec un sourire sardonique. D’abord, on fera les honneurs à ton corps, comme il se doit. Ricky aussi y aura droit. Avant de repartir, on te liera pieds et mains, puis on mettra le feu à la baraque.
Ils entrèrent dans Versailles, s’y retrouvèrent dans une cohue noire, corsetés dans une file de véhicules qui s’étendait à perte de vue. On avançait au pas ; il fallait plus d’un quart d’heure pour parcourir cinq cents mètres.
Ils finirent par atteindre l’embranchement indiqué par Fredo, bifurquèrent vers la voie secondaire. Il n’y avait plus de voitures devant ni derrière eux, le ruban noir du goudron se déroulait rapidement ; ils ne tardèrent pas à apercevoir la flèche d’une église surmontée d’une croix.
Ils traversèrent le village, poursuivant leur route, mais ils butèrent plus loin sur un obstacle incontournable : un éboulement de terrain avait coupé la circulation dans les deux sens. Il était midi passé et ils avaient l’estomac creux. Ils durent rebrousser chemin, s’arrêtèrent dans le restaurant du village. La patronne se tenait derrière le comptoir, elle causait avec une belle brune au parfum capiteux, l’apparence soignée dans les moindres détails.
Les deux femmes se regardèrent dans les yeux, vivement frappées par la mine lugubre de Christina.
– Eh ! on n’est pas des extraterrestres. La preuve en est que la faim nous taquine l’estomac, dit Fredo, s’adressant à la patronne.
– Je peux vous servir que des repas express.
– Par exemple ?
– Steak frites avec une salade verte.
– Ça nous va. C’est pas très long, j’espère.
– Une demi-heure environ.
Le portable de Fredo se mit à sonner, il sortit dans la rue pour répondre ; c’était un appel de Paris, le conviant à s’y rendre vers 16 h. Il rejoignit sa place auprès de Ricky et de Christina, commanda deux bières et un quart d’eau plate, en attendant que le déjeuner soit servi.
Pendant ce temps, Gianni s’ennuyait dans les embouteillages, qu’il évitait d’ordinaire. Il avait promis de rejoindre sa compagne et son fils, qui se trouvaient depuis une semaine à Bordeaux. Cette perspective ne suscitait pas chez lui un enthousiasme débordant, il avait même cherché en vain un prétexte pour rester à Paris. L’absence de Charlène l’avait porté à réfléchir sur leur couple, et il s’était rendu compte de leur vie insipide depuis la naissance de Jérôme. Mais il finit par se résigner à regagner les bords de la Garonne, faisant preuve de lâcheté à ses propres yeux.
Il avait délaissé l’autoroute, préférant emprunter la N10, et il avait mis presque deux heures pour arriver à Versailles. À la sortie de la ville, fatigué de se voir coincé entre deux pare-chocs, il prit la première voie secondaire qui se présenta devant lui. Il se retrouva sur une route de campagne parfaitement dégagée, serpentant au milieu de champs de colza.
Il écrasa le champignon contre le plancher, essayant de rattraper un peu le temps perdu. D’abord, le véhicule sembla tenir le coup, avalant sans rechigner une longue ligne droite. Hélas ! un peu plus loin, quand il aborda une côte, tel un vieillard qu’un effort trop prolongé essouffle, le véhicule eut des toussotements de mauvais augure. Ils se soldèrent par un net affaiblissement de puissance. Il toussota encore après la montée, sur un tronçon plat. Gianni se dit que cela finirait peut-être par une attaque d’asthme. Il risquait de se retrouver en rase campagne, avec ses jambes comme seul moyen de locomotion. Il finirait bien par trouver la réponse à ses questions, pourvu que la voiture tienne bon la route jusqu’à la prochaine agglomération, ce qui n’était pas garanti d’avance.
Après une brève accalmie, les ratées reprirent de plus belle, ralentissant l’allure du véhicule et diminuant ses chances d’arriver quelque part où il pourrait se faire dépanner. Gianni donna un coup d’œil sur le tableau de bord, l’aiguille qui indiquait le niveau de carburant mordait franchement sur le rouge. Il en déduisit que, si le moteur ne tournait pas rond, c’était peut-être à cause de la saleté accumulée au fond du réservoir.
Un peu plus loin, au détour d’une crête, il aperçut des maisons derrière un rideau de peupliers. La flèche d’une tour les dépassait en hauteur. C’était un vieux village, à en juger par la basilique et les bâtisses qui s’accroupissaient alentour, comme un troupeau de brebis autour du berger.
Il y avait une station de service à l’entrée de l’agglomération. Lorsqu’il s’y arrêta, le gérant s’apprêtait à baisser le rideau. Gianni était son cinquième client de la journée, dit-il tout en enfonçant le pistolet de remplissage dans le réservoir. Les automobilistes de passage formaient le plus clair de sa clientèle, parce que la route qui traversait le village était un bon raccourci pour gagner l’A10. Seulement, elle avait été coupée à la circulation dans les deux sens, à la suite d’un éboulement qui s’était produit pendant la nuit.
Gianni faisait la grimace quand il se remit au volant. Il devait rebrousser chemin pour reprendre la N10 à l’endroit où il l’avait quittée tout à l’heure. Comme s’il était revenu faire un tour récréatif dans la compagne, en attendant que la circulation redevienne normale. Il se laissa bercer par la vague illusion que le carburant dont il venait de faire remplir le réservoir allait redonner du tonus au moteur. Hélas ! cette fois, il refusa carrément de démarrer.
Il pria le pompiste, qui était aussi mécanicien, de jeter un œil au moteur. Il mit le nez sous le capot, puis il lui demanda d’actionner le démarreur. Il ausculta les bruits, examina les câbles, tâta les durites, puis son diagnostic tomba : à son avis, c’était la pompe à injection qui avait rendu l’âme. Il n’y avait pas de diéséliste dans le coin ; il fallait faire remorquer le véhicule dans un garage équipé pour résoudre ce genre de problème.
Gianni abandonna l’idée de se rendre dans le Sud-Ouest. Il rangea la guimbarde à l’écart, avec l’aide du pompiste, puis il lui demanda s’il n’y avait pas à proximité un restaurant où il pourrait déjeuner. Il lui indiqua le « Relai des Routiers » qui se trouvait cinquante mètres plus loin. Gianni s’y rendit aussitôt, remarqua sur le parking une Mercédès bleue et le bolide rouge qui l’avait doublé tout à l’heure. Il n’y avait pas foule à l’intérieur. Assez vaste et proprement tenu, le restaurant était presque vide.
La patronne, qui tournait autour de la cinquantaine, se tenait debout derrière le comptoir. À une table, au beau milieu de la pièce, tel un pot de fleurs fraîchement cueillies, il remarqua la jeune femme qu’il avait vue au volant de la Porsche tout à l’heure. C’était une belle brune, l’air engageant, la chevelure noire. Elle portait une robe de coupe simple qui lui allait à ravir, et sa posture étudiée dénotait son envie de plaire.
Gianni commanda son déjeuner. En attendant d’être servi, il contacta son assureur et lui demanda de faire remorquer sa voiture vers un garage de Versailles. Comme son contrat d’assurance prévoyait le rapatriement des voyageurs, en cas de panne, il fut convenu qu’un taxi serait mis à sa disposition dans le courant de l’après-midi.
La patronne leur servit le déjeuner, steak-frites pour Gianni, salade niçoise pour la charmante inconnue. Ils avaient engagé le dialogue, un début d’entente semblait se dessiner entre eux, lorsque le bruit de pas dans l’escalier, montant du sous-sol, attira leur attention. Ils levèrent la tête, deux drôles de zèbres se trouvaient devant eux. Il s’agissait de Fredo et de son acolyte, ils venaient de jouer une partie de billard. Gianni trouva ce dernier laid et borné, il le fit songer à un pitbull se pourléchant les babines.
– Où est passée ma copine ? demanda Fredo, s’adressant à la patronne.
– Je ne suis pas là pour épier les faits et gestes de mes clients.
– Laisse tes grands chevaux à l’écurie, si tu ne veux pas que je te pète la façade, mémère ! Je t’ai demandé si tu l’as vue sortir.
– J’ai rien vu.
– Vous ne l’avez pas vue, monsieur ? demanda-t-il à Gianni, s’approchant de sa table.
– Quand je suis arrivé, il n’y avait que ces dames dans cette pièce.
– Et toi, poulette, est-ce que t’as vu la fille qui était assise là ? poursuivit-il, indiquant une chaise d’un geste.
– Elle est partie après avoir bu son café.
– Pourquoi l’as-tu pas dit plus tôt ?
– On ne m’a rien demandé, je crois.
– Fais pas la maligne, poupée, ta porcelaine est fragile, un soufflet suffirait à l’ébrécher. Comment était-elle en sortant ?
– Elle est partie la tête basse, l’air tristounet, la pauvre.
– Il ne doit pas être bien loin. Allons à sa recherche ! dit-il se dirigeant vers la sortie.
Dès qu’ils franchirent le seuil du restaurant, la patronne étrilla le type grossier et arrogant qui les avait interrogés. Quant à la brune, qui avait fini de manger sa salade, elle plaignit la jeune femme qui s’était échappée, l’air soucieux, visiblement malheureuse.
– Je me demande ce qu’elle peut bien faire avec ces drôles de zèbres, dit la patronne.
– Ils m’ont l’air de types sans foi ni loi. Peut-être qu’elle était avec eux contrainte et forcée, dit Gianni.
– C’est bien possible, acquiesça la brune.
Pendant que la patronne préparait le café, Gianni renoua le dialogue avec la charmante inconnue qu’il ne se lassait pas de regarder depuis son arrivée. Il lui dit qu’il serait ravi de finir le déjeuner à sa table. Elle n’y voyait pas d’inconvénient, au contraire, dit-elle, accédant à sa demande. Ils s’oublièrent dans un tête-à-tête prometteur, parlant à voix basse, dans une entente parfaite. Ils furent interrompus par le portable de la jeune femme qui se mit à sonner, elle prit l’appel, échangea quelques mots brefs avec son correspondant.
– Je dois m’en aller, dit-elle, quelqu’un m’attend. Je suis ravie d’avoir fait votre connaissance.
– Peut-être qu’on pourrait se revoir plus tard, répondit Gianni.
– Qui sait ? Parfois, le monde est si petit, fit-elle d’un air évasif.
Elle régla sa note et s’en alla, au grand regret de Gianni, qui avait l’intention de lui proposer un rancard dans la soirée. Il jeta un coup d’œil à sa montre. Combien de temps lui faudrait-il encore attendre le taxi ? Il rappela son assureur, il lui fit savoir que sa voiture serait remorquée dès que possible, tout dépendait de la densité du trafic.
La patronne vint débarrasser la table ; elle trouva une carte visite sous la soucoupe de l’inconnue. Elle se retourna vers Gianni, qui revenait des toilettes.
– Ce doit être pour vous, dit-elle, lui tendant le bristol. Je l’ai trouvée sous sa tasse.
– Graziella Donatti, une belle Italienne !... Merci, madame.
– Vous avez de la chance, jeune homme. Saisissez-la avant qu’elle ne tourne. Les femmes n’aiment pas qu’on les fasse poireauter.
Gianni quitta le restaurant à son tour. Il se dirigea à pied dans la direction de Versailles, à la rencontre du taxi. Il avait besoin de bouger, la marche atténuerait son impatience.
Entre-temps, Fredo avait retrouvé Christina. Un moment, elle avait suivi la route en direction de Versailles, avec le vain espoir d’être prise en stop. Elle avait beau tendre l’oreille, se retournant de temps à autre, aucune voiture ne revenait du village. En désespoir de cause, elle descendit sur le terrain vague, craignant que ses persécuteurs ne la retrouvent.
Ces derniers roulaient lentement ; ils fouillaient les alentours du regard. À l’issue d’un virage, Fredo l’aperçut en contrebas de la route, au bord du ruisseau. Il ordonna à Ricky de s’arrêter et de l’attendre dans la voiture. Il allait essayer de s’approcher de Christina sans être vu, avec l’intention de la cueillir par surprise.
Il n’était qu’à cinquante mètres quand Christina tourna la tête, alerté par le moteur de la Porsch qui filait à toute vitesse en direction de Versailles. Voyant Fredo, elle détala à toutes jambes vers la voie ferrée. Il se lança à sa poursuite, finit par l’attraper au pied du talus. Alors, il la jeta brutalement à terre et se mit à califourchon sur elle, puis il la retourna sur le ventre. Elle se débattait de toute son énergie ; il lui appliqua deux gifles ; elle lui cracha sur la figure. Pour venir à bout de sa résistance, il prit un flacon dans sa poche, lui fit respirer l’odeur de son contenu. La résistance de Christina cessa aussitôt. Le meurtrier n’avait plus qu’à lui injecter la drogue dans le sang, pour la traîner ensuite sur les rails.

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