À priori, Christina a tout ou
presque pour trouver le bonheur en amour : un physique agréable, un
caractère bien trempé, un cœur romantique, une intelligence remarquable, une
bonne situation…
Seulement, elle a le malheur de croiser
un mauvais garçon qui jette son dévolu sur elle. Alors, les forces obscures du
mal se conjuguent pour tisser la toile où elle se laisse prendre, comme un
papillon ébloui.
Très vite, elle est happée par
l’engrenage tissé par l’imposture et le mensonge. Elle perd ses illusions
d’amour et de bonheur au bout de quelque temps. Alors, elle tente de rompre
avec l’amoureux indigne, mais il s’accroche, la menace, la fait chanter. Alors,
les tribulations de Christina s’enchaînent, la jetant dans le plus grand
désespoir.
Elle est courageuse, décide de
se battre ; cependant, elle vit la peur au ventre, craint de ne jamais réussir
à se débarrasser de ses persécuteurs. L’incertitude et le suspense règnent
jusqu’au dénouement.
Extrait
Ricky surveillait discrètement la maison de la famille Thomas ce samedi
matin. Il guettait les allées et venues de Christina, afin de déterminer le
meilleur moment pour passer à l’action. Quand il vit la jeune femme sortir en
compagnie d’une vieille dame appuyée sur son bras, il en avertit Fredo, qui lui
donna de nouvelles instructions. Il devait les suivre à distance, s’assurant
bien qu’il n’y avait pas des individus suspects dans les environs.
Il suivit leur voiture, qui se dirigeait vers la forêt. Il se gara à
distance, descendit de son véhicule sans hâte, alluma une cigarette, puis il
fouilla du regard l’espace environnant. Il se mit à marcher sur un sentier,
sans perdre les deux femmes de vue. Comme il ne voyait rien d’anormal, il
informa son chef que la zone était dégagée. Alors, celui-ci lui ordonna de le
rejoindre, ils reviendraient ensemble sur les traces des deux femmes.
Une demi-heure s’était écoulée, ces dernières revenaient vers leur voiture
avec l’intention de rentrer à la maison. Christina prit un mouchoir dans son
sac à main qu’elle portait en bandoulière, le tendit à Gloria.
– C’est tonique, une promenade en forêt, hein, mamie ? dit Christina.
– Oui, ma chérie, je me sens rajeunir depuis que tu es revenue. Tu
rentreras à Paris bientôt, n’est-ce pas ?
– Je ne crois pas. J’attends de pouvoir y vivre en paix. La police finira
bien par l’arrêter.
– Que Dieu te protège, mon enfant !
Elles arrivaient près de leur voiture quand celle de Fredo s’immobilisa à
leur hauteur. Celui-ci sauta sur l’allée, attrapa Christina par la veste ;
elle essaya de résister avec l’aide de Gloria ; il bouscula cette dernière
qui tomba à la renverse, puis il poussa Christina brutalement dans l’arrière de
son véhicule.
Assis au volant, Ricky attendait le signal de départ. Fredo monta derrière,
à côté de Christina ; il fit bloquer les portes, puis la voiture démarra
sur les chapeaux de roues. Cette dernière était effondrée, la tête inclinée sur
la poitrine, maudissant son destin cruel. Elle pensait à Gloria, qu’elle avait
vue immobile, allongée sur le sol. Le misérable n’avait pas hésité à lever les
pattes sur une vieille dame.
Elle osait à peine imaginer les souffrances qu’elle devait encore endurer.
Elle haïssait Fredo de toutes ses forces. Elle fourra la main dans son sac à
main, caressa le révolver dont elle ne se départait pas, depuis que son père
avait été sauvagement agressé. Elle l’avait acheté à un trafiquant d’armes,
s’était entraînée dans la forêt, sur des cibles de carton, fixées sur des
troncs d’arbre. Elle s’était juré de se venger, et pourtant, elle renonça à
s’en servir, estimant que le moment était mal choisi. Au lieu du révolver, elle
prit un mouchoir pour essuyer ses larmes.
La voiture roulait dans la direction de Versailles. La radio diffusa les
dernières nouvelles sur l’état de la circulation. C’était le début des vacances
de Pâques, les automobilistes se ruaient vers le sud ; on signalait de
gros bouchons autour de Paris. On roulait au pas sur la N10, à cause d’un
accident grave sur l’autoroute.
– Tu prendras la route départementale à la sortie de Versailles, comme la
dernière fois, dit Fredo.
Il se retourna vers Christina, qui pleurait à chaudes larmes.
– Ça va être ta fête aujourd’hui. Je t’emmène dans une cabane perdue au
milieu de nulle part, dit-il avec un sourire sardonique. D’abord, on fera les
honneurs à ton corps, comme il se doit. Ricky aussi y aura droit. Avant de
repartir, on te liera pieds et mains, puis on mettra le feu à la baraque.
Ils entrèrent dans Versailles, s’y retrouvèrent dans une cohue noire,
corsetés dans une file de véhicules qui s’étendait à perte de vue. On avançait
au pas ; il fallait plus d’un quart d’heure pour parcourir cinq cents
mètres.
Ils finirent par atteindre l’embranchement indiqué par Fredo, bifurquèrent
vers la voie secondaire. Il n’y avait plus de voitures devant ni derrière eux,
le ruban noir du goudron se déroulait rapidement ; ils ne tardèrent pas à
apercevoir la flèche d’une église surmontée d’une croix.
Ils traversèrent le village, poursuivant leur route, mais ils butèrent plus
loin sur un obstacle incontournable : un éboulement de terrain avait coupé
la circulation dans les deux sens. Il était midi passé et ils avaient l’estomac
creux. Ils durent rebrousser chemin, s’arrêtèrent dans le restaurant du
village. La patronne se tenait derrière le comptoir, elle causait avec une
belle brune au parfum capiteux, l’apparence soignée dans les moindres détails.
Les deux femmes se regardèrent dans les yeux, vivement frappées par la mine
lugubre de Christina.
– Eh ! on n’est pas des extraterrestres. La preuve en est que la faim
nous taquine l’estomac, dit Fredo, s’adressant à la patronne.
– Je peux vous servir que des repas express.
– Par exemple ?
– Steak frites avec une salade verte.
– Ça nous va. C’est pas très long, j’espère.
– Une demi-heure environ.
Le portable de Fredo se mit à sonner, il sortit dans la rue pour
répondre ; c’était un appel de Paris, le conviant à s’y rendre vers
16 h. Il rejoignit sa place auprès de Ricky et de Christina, commanda deux
bières et un quart d’eau plate, en attendant que le déjeuner soit servi.
Pendant ce temps, Gianni s’ennuyait dans les embouteillages, qu’il évitait
d’ordinaire. Il avait promis de rejoindre sa compagne et son fils, qui se trouvaient
depuis une semaine à Bordeaux. Cette perspective ne suscitait pas chez lui un
enthousiasme débordant, il avait même cherché en vain un prétexte pour rester à
Paris. L’absence de Charlène l’avait porté à réfléchir sur leur couple, et il
s’était rendu compte de leur vie insipide depuis la naissance de Jérôme. Mais
il finit par se résigner à regagner les bords de la Garonne, faisant preuve de
lâcheté à ses propres yeux.
Il avait délaissé l’autoroute, préférant emprunter la N10, et il avait mis
presque deux heures pour arriver à Versailles. À la sortie de la ville, fatigué
de se voir coincé entre deux pare-chocs, il prit la première voie secondaire
qui se présenta devant lui. Il se retrouva sur une route de campagne
parfaitement dégagée, serpentant au milieu de champs de colza.
Il écrasa le champignon contre le plancher, essayant de rattraper un peu le
temps perdu. D’abord, le véhicule sembla tenir le coup, avalant sans rechigner
une longue ligne droite. Hélas ! un peu plus loin, quand il aborda une
côte, tel un vieillard qu’un effort trop prolongé essouffle, le véhicule eut
des toussotements de mauvais augure. Ils se soldèrent par un net
affaiblissement de puissance. Il toussota encore après la montée, sur un
tronçon plat. Gianni se dit que cela finirait peut-être par une attaque
d’asthme. Il risquait de se retrouver en rase campagne, avec ses jambes comme
seul moyen de locomotion. Il finirait bien par trouver la réponse à ses
questions, pourvu que la voiture tienne bon la route jusqu’à la prochaine agglomération,
ce qui n’était pas garanti d’avance.
Après une brève accalmie, les ratées reprirent de plus belle, ralentissant
l’allure du véhicule et diminuant ses chances d’arriver quelque part où il
pourrait se faire dépanner. Gianni donna un coup d’œil sur le tableau de bord,
l’aiguille qui indiquait le niveau de carburant mordait franchement sur le
rouge. Il en déduisit que, si le moteur ne tournait pas rond, c’était peut-être
à cause de la saleté accumulée au fond du réservoir.
Un peu plus loin, au détour d’une crête, il aperçut des maisons derrière un
rideau de peupliers. La flèche d’une tour les dépassait en hauteur. C’était un
vieux village, à en juger par la basilique et les bâtisses qui
s’accroupissaient alentour, comme un troupeau de brebis autour du berger.
Il y avait une station de service à l’entrée de l’agglomération. Lorsqu’il
s’y arrêta, le gérant s’apprêtait à baisser le rideau. Gianni était son
cinquième client de la journée, dit-il tout en enfonçant le pistolet de
remplissage dans le réservoir. Les automobilistes de passage formaient le plus
clair de sa clientèle, parce que la route qui traversait le village était un
bon raccourci pour gagner l’A10. Seulement, elle avait été coupée à la
circulation dans les deux sens, à la suite d’un éboulement qui s’était produit
pendant la nuit.
Gianni faisait la grimace quand il se remit au volant. Il devait rebrousser
chemin pour reprendre la N10 à l’endroit où il l’avait quittée tout à l’heure.
Comme s’il était revenu faire un tour récréatif dans la compagne, en attendant
que la circulation redevienne normale. Il se laissa bercer par la vague
illusion que le carburant dont il venait de faire remplir le réservoir allait
redonner du tonus au moteur. Hélas ! cette fois, il refusa carrément de
démarrer.
Il pria le pompiste, qui était aussi mécanicien, de jeter un œil au moteur.
Il mit le nez sous le capot, puis il lui demanda d’actionner le démarreur. Il
ausculta les bruits, examina les câbles, tâta les durites, puis son diagnostic
tomba : à son avis, c’était la pompe à injection qui avait rendu l’âme. Il
n’y avait pas de diéséliste dans le coin ; il fallait faire remorquer le
véhicule dans un garage équipé pour résoudre ce genre de problème.
Gianni abandonna l’idée de se rendre dans le Sud-Ouest. Il rangea la
guimbarde à l’écart, avec l’aide du pompiste, puis il lui demanda s’il n’y
avait pas à proximité un restaurant où il pourrait déjeuner. Il lui indiqua le
« Relai des Routiers » qui se trouvait cinquante mètres plus loin.
Gianni s’y rendit aussitôt, remarqua sur le parking une Mercédès bleue et le
bolide rouge qui l’avait doublé tout à l’heure. Il n’y avait pas foule à
l’intérieur. Assez vaste et proprement tenu, le restaurant était presque vide.
La patronne, qui tournait autour de la cinquantaine, se tenait debout
derrière le comptoir. À une table, au beau milieu de la pièce, tel un pot de
fleurs fraîchement cueillies, il remarqua la jeune femme qu’il avait vue au
volant de la Porsche tout à l’heure. C’était une belle brune, l’air engageant,
la chevelure noire. Elle portait une robe de coupe simple qui lui allait à
ravir, et sa posture étudiée dénotait son envie de plaire.
Gianni commanda son déjeuner. En attendant d’être servi, il contacta son
assureur et lui demanda de faire remorquer sa voiture vers un garage de
Versailles. Comme son contrat d’assurance prévoyait le rapatriement des
voyageurs, en cas de panne, il fut convenu qu’un taxi serait mis à sa
disposition dans le courant de l’après-midi.
La patronne leur servit le déjeuner, steak-frites pour Gianni, salade
niçoise pour la charmante inconnue. Ils avaient engagé le dialogue, un début
d’entente semblait se dessiner entre eux, lorsque le bruit de pas dans
l’escalier, montant du sous-sol, attira leur attention. Ils levèrent la tête,
deux drôles de zèbres se trouvaient devant eux. Il s’agissait de Fredo et de
son acolyte, ils venaient de jouer une partie de billard. Gianni trouva ce
dernier laid et borné, il le fit songer à un pitbull se pourléchant les
babines.
– Où est passée ma copine ? demanda Fredo, s’adressant à la patronne.
– Je ne suis pas là pour épier les faits et gestes de mes clients.
– Laisse tes grands chevaux à l’écurie, si tu ne veux pas que je te pète la
façade, mémère ! Je t’ai demandé si tu l’as vue sortir.
– J’ai rien vu.
– Vous ne l’avez pas vue, monsieur ? demanda-t-il à Gianni, s’approchant de
sa table.
– Quand je suis arrivé, il n’y avait que ces dames dans cette pièce.
– Et toi, poulette, est-ce que t’as vu la fille qui était assise là ?
poursuivit-il, indiquant une chaise d’un geste.
– Elle est partie après avoir bu son café.
– Pourquoi l’as-tu pas dit plus tôt ?
– On ne m’a rien demandé, je crois.
– Fais pas la maligne, poupée, ta porcelaine est fragile, un soufflet
suffirait à l’ébrécher. Comment était-elle en sortant ?
– Elle est partie la tête basse, l’air tristounet, la pauvre.
– Il ne doit pas être bien loin. Allons à sa recherche ! dit-il se
dirigeant vers la sortie.
Dès qu’ils franchirent le seuil du restaurant, la patronne étrilla le type
grossier et arrogant qui les avait interrogés. Quant à la brune, qui avait fini
de manger sa salade, elle plaignit la jeune femme qui s’était échappée, l’air
soucieux, visiblement malheureuse.
– Je me demande ce qu’elle peut bien faire avec ces drôles de zèbres, dit
la patronne.
– Ils m’ont l’air de types sans foi ni loi. Peut-être qu’elle était avec
eux contrainte et forcée, dit Gianni.
– C’est bien possible, acquiesça la brune.
Pendant que la patronne préparait le café, Gianni renoua le dialogue avec
la charmante inconnue qu’il ne se lassait pas de regarder depuis son arrivée.
Il lui dit qu’il serait ravi de finir le déjeuner à sa table. Elle n’y voyait
pas d’inconvénient, au contraire, dit-elle, accédant à sa demande. Ils
s’oublièrent dans un tête-à-tête prometteur, parlant à voix basse, dans une
entente parfaite. Ils furent interrompus par le portable de la jeune femme qui
se mit à sonner, elle prit l’appel, échangea quelques mots brefs avec son
correspondant.
– Je dois m’en aller, dit-elle, quelqu’un m’attend. Je suis ravie d’avoir
fait votre connaissance.
– Peut-être qu’on pourrait se revoir plus tard, répondit Gianni.
– Qui sait ? Parfois, le monde est si petit, fit-elle d’un air évasif.
Elle régla sa note et s’en alla, au grand regret de Gianni, qui avait
l’intention de lui proposer un rancard dans la soirée. Il jeta un coup d’œil à
sa montre. Combien de temps lui faudrait-il encore attendre le taxi ? Il
rappela son assureur, il lui fit savoir que sa voiture serait remorquée dès que
possible, tout dépendait de la densité du trafic.
La patronne vint débarrasser la table ; elle trouva une carte visite
sous la soucoupe de l’inconnue. Elle se retourna vers Gianni, qui revenait des
toilettes.
– Ce doit être pour vous, dit-elle, lui tendant le bristol. Je l’ai trouvée
sous sa tasse.
– Graziella Donatti, une belle Italienne !... Merci, madame.
– Vous avez de la chance, jeune homme. Saisissez-la avant qu’elle ne
tourne. Les femmes n’aiment pas qu’on les fasse poireauter.
Gianni quitta le restaurant à son tour. Il se dirigea à pied dans la
direction de Versailles, à la rencontre du taxi. Il avait besoin de bouger, la
marche atténuerait son impatience.
Entre-temps, Fredo avait retrouvé Christina. Un moment, elle avait suivi la
route en direction de Versailles, avec le vain espoir d’être prise en stop.
Elle avait beau tendre l’oreille, se retournant de temps à autre, aucune
voiture ne revenait du village. En désespoir de cause, elle descendit sur le
terrain vague, craignant que ses persécuteurs ne la retrouvent.
Ces derniers roulaient lentement ; ils fouillaient les alentours du regard.
À l’issue d’un virage, Fredo l’aperçut en contrebas de la route, au bord du
ruisseau. Il ordonna à Ricky de s’arrêter et de l’attendre dans la voiture. Il
allait essayer de s’approcher de Christina sans être vu, avec l’intention de la
cueillir par surprise.
Il n’était qu’à
cinquante mètres quand Christina tourna la tête, alerté par le moteur de la
Porsch qui filait à toute vitesse en direction de Versailles. Voyant Fredo,
elle détala à toutes jambes vers la voie ferrée. Il se lança à sa poursuite, finit
par l’attraper au pied du talus. Alors, il la jeta brutalement à terre et se
mit à califourchon sur elle, puis il la retourna sur le ventre. Elle se
débattait de toute son énergie ; il lui appliqua deux gifles ; elle
lui cracha sur la figure. Pour venir à bout de sa résistance, il prit un flacon
dans sa poche, lui fit respirer l’odeur de son contenu. La résistance de
Christina cessa aussitôt. Le meurtrier n’avait plus qu’à lui injecter la drogue
dans le sang, pour la traîner ensuite sur les rails.
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